Hommage à l’orthopédie et à la kinésithérapie

Pour Arnaud
Pour Sylvie


Orthodromie
 

La main qui écrit a -t-elle trop à dire tant à faire ?
Essorer l’éponge essuyer les miettes pianoter azerty brosser les dents
tailler le rosier caresser le drap tenir la laisse du chien signer les chèques
reprendre à la virgule se bouger sur l’électro appuyer sur entrée
tirer la rame vider les poches remplir la liste
étendre le linge
taper le mot juste couper les oignons serrer un corps dans ses bras
frotter les WC laver l’autre épaule
tenir le combiné pour papa prendre des notes pour maman
dire tout en une phrase écrire un texto récrire un mail porter le bois
tendre la main tenir le livre ouvert ouvrir la porte
passer la vitesse ramener les courses imprimer un souvenir 

dire le beau dire les choses dire les envies dire que c’est possible que ça doit être possible qu’on peut être là et tout imaginer demain
qu’on peut avoir une maison un jardin une famille des enfants des amis des animaux un travail des loisirs
et voyager
La main trace ses lignes et marque ses a coups, elle regarde en arrière et en avant et se contorsionne dans un instant élastique
Elle tient le guidon serre et lâche les freins

Il peut arriver alors que le tendon du sus-épineux se manifeste.

Il peut arriver alors que la main pour le mascara la main pour l’accroche de la ceinture la main pour les mots d’amour ne bénéficie plus de la rotation multidirectionnelle de l’humérus de son épaule.

Il peut arriver que la main qui écrit ne soit plus épaulée.

Il est probable alors que, sous l’apparence arrondie et fluide de ce mécanisme sophistiqué qu’est une épaule, les cartilages perdent de leur prestance et laissent l’humérus dans un tracé imparfait. Et si la glène peut paraître régulière, la bourse sous-acromiale fine, la coiffe des rotateurs dans un corps charnu garder ses tendons au garde-à-vous, le bourrelet glénoïdien peut néanmoins réserver des surprises et la bourse sous acromib deltoidienne poser quelques questions. Le biceps, muscle pourtant volontaire habitué de la polyvalence, se retrouve livré à lui-même dans un fonctionnement laborieux transmettant de haut en bas et des phalanges aux oreilles, des messages de détresse sans réponse, utilisant les voies
d’ordinaires non sollicitées des trapèzes des cervicales et des omoplates dans l’espoir qu’un ordre des choses soit retrouvé entre la marche du cerveau insoumis et le doigté sur le clavier du piano.
Il peut arriver qu’à lui seul, par une fissure micrométrique, une fissure dans la vie, une fissure dans l’écriture des gestes, le tendon du sus-épineux impose à la dextérité du quotidien un doigté plus en finesse, en retenue, en lenteur. Il aura fallu décoapté le bras et le cœur avec.
Alors la main qui écrit reprend ses figures, trace des lignes autres, trouve élan pour une course droite.